samedi 30 avril 2016

Au marché des bonnes consciences (reflexions sur la zakat)

Au marché des bonnes consciences 

Comment font les êtres humains pour s’acheter une bonne conscience ?  en commettant des bonnes actions est la réponse usuelle. J’ai vu aujourd’hui un rassemblement de milliardaire autour d’un pot à plusieurs millions de je ne sais quelle monnaie à l’occasion d’une soirée visant à financer les besoins de je ne sais plus quelle maladie. Et le journaliste ironie bien ou mal placée disait que ces milliardaires trouvaient le le moyen de s’acheter une bonne conscience. Je mets d’emblée de côté la question de l’achat de conscience dans le sens d’achat de légitimité, quitte à revenir sur ce pont par la suite.

Comment fait-on donc pour s’acheter une bonne conscience ? on peut commencer par l’essentiel, en toute chose il est bon de savoir ce qui se dit. Si les bonnes consciences peuvent s’acheter, c’est qu’il  en est –de bonnes ou de mauvaises, qui se vendent. Donc s’il y a des consciences qui se vendent, il y a donc un marché, on ne peut évidemment penser un commerce sans marché : c’est la règle du lieu. Il y a donc des vendeurs de consciences puisqu’il y a des acheteurs, et un lieu pour que cela se fasse.  Par ailleurs, parce que la question se pose aussi, est-il possible de s’acheter une mauvaise conscience ? y a-t-il un marché pour les mauvaises consciences ? Qui voudrait d’une mauvaise conscience ? Mettons cette question de côté pour l’instant.
En y mettant les moyens on peut tout acheter. C’est aussi ce qui se dit dans ces questions. Continuons. Qu’est ce qu’une conscience ? De quel type de produit s’agit-il ? qui le fabrique ? Je me souviens de ce Gepetto qui avait pour conscience je ne sais plus quel animal.
Cet insecte je crois lui disait en permanence, ce que tu fais est bien ou ne l’est pas, fais ceci ne fais pas cela, etc. la conscience observée sous cet angle est une capacité de jugement moral et pratique, de discernement et de mesure, Une capacité d’observation  et d’analyse.  Donc la conscience est une capacité. De quelle nature est cette capacité ? je ne parle évidemment pas de sa nature physique, la chimie du cerveau échappe à on domaine de compétence.
Pourquoi les consciences valent-elles plus cher qu’un bateau ou un avion ?  un bateau ou un avion donnent les moyens de se déplacer, quels moyens procure la conscience, qui ne puisse être fournis que par elle ? Les consciences se situent dans des corps pour peu que l’on puisse parler d’une localisation à ce sujet. Les corps de nos jours se morcellent et se vendent, il y a un marché pour cela et même des banques.  Que pourrait-il y avoir d’équivalent pour les consciences ? l’anima n’est pas la conscience.  L’anima cartésienne dont les animaux seraient privés n’a rien à voir avec cette capacité de jugement moral et pratique qu’est la conscience.  Il n’est donc pas question de vendre ou d’acheter les âmes des personnes, mais plutôt leur capacité de discernement et de mesure.  Et une fois qu’un être a vendu sa conscience, que lui reste-il ?

Reprenons. Les êtres humains de nos jours vendent leurs corps ou des parcelles de celui-ci, qui est une matière, ils vendent aussi leur force de travail qui est une énergie. Intéressons nous à cet aspect de la question. La force de travail aussi concrète qu’elle soit est aussi une forme abstraite. Si je vais travailler pour quelqu’un, qu’achète-il de ce que je lui ai vendu ? il achète en premier lieu untemps de vie, sur les trois huit, il accapare au moins un huitième ; les huit heures que je consacre dans un bureau ou dans les trajets que je fais, les huit heures sur commande où je suis certes moi-même mais toujours moi-même travaillant pour un autre, moi-même comme un autre disait le poète, étant un autre quoique je le veuille, d’une manière presque inévitable. Donc en premier lieu, la force de travail, c’est du temps, perdu pour celui qui le vend, gagné par celui qui l’achète. La force de travail, c’est aussi une énergie, de la sueur par exemple de manière concrète, du sang puisqu’on peut se blesser en travaillant voire en mourir ; des larmes c’est possible aussi ; puisque l’on peut pleurer de joie à l’obtention d’un contrat comme on peut pleurer de rage lorsqu’on ne l’obtient pas. Il achète aussi dans les deux huitième qui échappent à la présence concrète, un temps d’attention, ou une part de l’attention qu’un être porte à lui-même et à ses affaires courantes, dans un certain ses ce temps d’attention n’est-il pas un temps de conscience ?

Arrêtons nous un instant sur cette pensée ; il est conscient nous dit le médecin, cela veut d’abord dit qu’il est vivant, même si son état de vie peut être a minima, dans un état comateux par exemple. La conscience est un indice de vie, en ce qu’elle est un ensemble de signaux psycho-moteurs, symptomatiques, peut être. La conscience n’est pas à strictement parler la pensée, il faut être conscient pour penser.  Toutefois, Lorsqu’un être occupe vos pensées, c’est aussi votre conscience qu’il habite. Soit dit au passage la métaphore qui vient à l’esprit est spatiale ; occupe votre pensée comme s’il occupait votre demeure. S’agit-il alors d’un squateur, d’un locataire ou d’un propriétaire ? l’occupe-t-il de droit ou seulement de fait ?

Revenons toutefois à la question de l’employabilité de l’être humain. Peut-on une fois que l’on a quitté le travail ne pas y penser ? Peut on oublier le travail une fois la porte du bureau ou de l’atelier franchie ? C’est difficile, voire impossible, c’est donc que ce temps là lui aussi a été acheté et doit de ce fait être comptabilisé. Le temps, l’énergie et l’attention, voilà au moins trois choses que l’on a vendues en concluant un contrat de travail.  C’est un peu comme si l’on avait loué une partie de soi, pour une durée déterminée ou indéterminée, par contrat ou sans contrat.

Les consciences peuvent être achetées et vendues tout comme les corps peuvent être dépecés et vendus pour ce qu’ils contiennent de matière biologique utile ou loués pour ce qu’ils supposent de temps, d’énergie et d’attention. D’approximation en approximation nous étendons ainsi le fil de la pensée. D’une certaine manière celui qui nous emploie nous occupe, littéralement. Il s’installe en nous se porte au commandes et a droit de jugement de contrôle et de décision sur une partie de nos pensées ou des nos actions. Le même niveau de présence qu’un parent a dans l’esprit de ses enfants.  Voire parfois un niveau d’injonction supérieur. A moins que ce ne soit l’inverse évidemment, les relations n’étant jamais strictement univoques cette possibilité voire cette évidence est à prendre en compte.
Peut être est il temps d’opérer une synthése rapide.

S’agissant de la question de la conscience, nous l’avons définie d’abord comme une capacité de jugement moral et pratique, de discernement et de mesure, Une capacité d’observation  et d’analysepuis comme un ensemble de signaux psycho-moteurs, symptomatiques  ,  nous avons aussi interrogé ce qui dans l’humain peut se vendre et s’acheter. Les corps se vendent, s’achètent et se louent à la fois comme matière biologique spécifiques et comme usage. La force de travail aussi se vend et s’achète. Dans tous les cas ce qui se vend, s’achète ou se loue est varié ; Le temps, l’énergie et l’attention : on aurait pu appeler les choses autrement, bien sur mais la nomination ne change pas grand-chose aux faits.

Revenons maintenant aux questions qui ont tissé cet essai ; Comment font les êtres humains pour s’acheter une bonne conscience ?  Comment fait-on donc pour s’acheter une bonne conscience? y a-t-il un marché pour le commerce des consciences ?  Pourquoi les consciences valent-elles plus cher qu’un bateau ou un avion ?  Quels moyens procure la conscience, qui ne puisse être fournis que par elle ?

Depuis le début de cette réflexion  c’est la notion de conscience que nous avons interrogée. La conscience relève-t-elle du domaine du commerce ? peut-elle faire l’objet d’un échange en numéraire ? peut-elle être l’objet d’un échange commercial ? Mais bien auparavant ou bien après c’est selon, ces questions peuvent paraître étranges, elles sont avant tout un exercice de la pensée. Nous avons noté que le cycle de la vie et de la mort relevait nécessairement d’un cycle commercial. Le vivant a acheté une vie, le mort l’a vendu ? le vivant a vendu une vie, le mort l’a achetée ? J‘interroge les significations des mots sans plus.  La dualité ne doit jamais nous surprendre dans la mesure où chaque chose appelle son contraire, la nuit appelle le jour et vice versa, la richesse la pauvreté, la joie la souffrance. L’opposition, là où les extrêmes se rejoignent est une complémentarité. Entre les deux il n’y a pas forcément de rupture, tout comme il n’y a pas forcément de continuité.
















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